Convergences et divergences dans les perceptions des acteurs locaux et nécessité d’une connaissance partagée
2002
Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA)
Malgré un consensus large issu des documents de planification depuis les années 60 et des études et recherches en cours sur la situation de ségrégation urbaine dans l’agglomération lyonnaise, celle-ci n’est pas aussi claire pour des acteurs locaux.
Un consensus existe sur le fait que tout est inégal, voire que l’inégalité est presque naturelle. Existe par contre des avis selon lesquels prôner l’égalité, l’équilibre, est un leurre politique assez dangereux. Si l’« inégalité », est ainsi un constat presque naturel elle reste une notion complexe qui ne fait pas l’unanimité ; c’est encore moins le cas lorsqu’il s’agit d’aborder la question de l’égalité.
De manière générale, si des inégalités et des différences existent partout et de tout temps, elles deviennent un problème social et politique quand il y a une demande sociale ou des revendications sociales et collectives, quand elles mettent de côté certaines populations, quand les différences se concentrent en excluant. C’est cette concentration qui permet de simplifier le problème aux « territoires quartiers », en occultant d’autres échelles, d’autres secteurs.
Ceci étant, il y a des positions très claires qui tentent d’expliquer le pourquoi des discours forts et multiples – au niveau national et local – sur les questions des inégalités, de l’exclusion, etc : « C’est la peur qui fait qu’on parle autant d’inégalités, d’exclusion, mais aussi pour se donner bonne conscience ». Ceci s’accompagne d’un consensus sur une longue et constante consolidation des inégalités locales, et sur l’incapacité à résoudre ces problèmes malgré les moyens mis en œuvre.
Mais aussi sur un consensus du fait que si avant il y avait de l’inégalité avec possibilité d’ascension sociale (« les Trente Glorieuses »), aujourd’hui l’ascenseur social ne fonctionne plus, voire fonctionne dans le sens de la descente.
Concernant l’approche même de l’inégalité et des inégalités territoriales, au moins quatre tendances se dégagent des entretiens :
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Ceux pour qui l’égalité est un idéal toujours à conquérir, pour qui la lutte contre les inégalités est un principe républicain. Ce sont les mêmes qui privilégient la mise en place et le renforcement des discriminations positives.
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Une deuxième tendance est de penser que le fait même d’être dans une société libérale engendre des inégalités et des inégalités spatiales et qu’il faut changer tout le système pour arriver à un système d’égalité.
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Certains pensent encore que l’inégalité fait partie de l’histoire et fait « progresser » l’humanité, l’égalité serait « la mort » de nos sociétés mais que par contre, il faut corriger les iniquités sociales, économiques et territoriales.
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Une dernière tendance est que les différences et les inégalités font parties de la nature, l’égalité serait illusoire… il faut accepter les inégalités et tenter de les limiter.
Reste quand même posé le problème de la mesure et donc de l’objectivation des politiques publiques.
Dans l’ensemble, sur la question du traitement des inégalités par les politiques publiques, les acteurs sont d’accord pour dire que c’est leur rôle de lutter contre les inégalités, mais reste la question du comment ?
S’il y a consensus global dans nos entretiens sur le fait que l’agglomération lyonnaise est ségrégée, il y a des nuances par rapport à l’amplitude de ce constat. En ce qui concerne les causes, la place de l’économie apparaît de manière forte et avant même la question de la ségrégation par le logement ; sur les conséquences locales, la question de l’exclusion ou de la sécurité ne sont pas loin de se côtoyer tout en revenant sur la délicate question de l’absorption par l’emploi des personnes qui sont considérées hors du marché.
Aux inégalités connues, viennent s’ajouter des inégalités nouvelles et les moyens pour résoudre ces problèmes passent par un changement dans les politiques économiques, par un renforcement des politiques de logement (donc par l’application de la loi SRU), mais aussi par la reconnaissance et la valorisation des territoires et personnes habitant dans des sites « déqualifiés ». Dans ce dernier cas, les transports en communs joueraient un rôle.
Y a-t-il un syndrome lyonnais ?
Si une bonne majorité d’interviewés l’accepte, voire parle « d’agglomération la plus ségrégée de France », d’autres font état de nuances qui pour certains permettent de relativiser, par comparaison rassurante avec d’autres agglomérations, mais qui pour d’autres permettent de limiter l’interprétation. Ceci étant, la plupart de nos interviewés mettent en avant la spécificité de la configuration ségrégative de l’agglomération lyonnaise, contrairement à des villes où il y a une diffusion de la pauvreté.
Dans ce contexte, les inégalités majeures au sein de l’agglomération lyonnaise, sont évoquées. Par thèmes, ces inégalités se présentent globalement de la manière suivante :
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Le logement, le lieu de résidence sont des facteurs très importants d’inégalité sur l’agglomération.
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En matière scolaire, des quartiers sont sous-équipés.
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Le périurbain : il y a enclavement des femmes qui ont des emplois de service assez précaires ; des jeunes, des populations qui s’endettent et ont des difficultés pour revendre leur maison.
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Les quartiers dits sensibles, les grands ensembles, les problèmes de concentration de non mixité des logements sociaux persistent.
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La qualité des quartiers et leur réhabilitation ne sont pas suffisamment développés.
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Il y a une spécialisation des territoires et un découpage discriminant en ce qui concerne l’industrie à l’Est, l’entassement de la classe ouvrière dans certaines communes, la paupérisation liée à la crise.
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Le chômage a touché l’agglomération lyonnaise comme le reste de la France en induisant une fracture.
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Les inégalités de revenu sont énormes entre l’Ouest et l’Est et s’accroissent.
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Au niveau de l’accès aux transports, il y a un manque d’ouverture vers la banlieue qui induit un double problème : le manque de mobilité et la déqualification des territoires non desservis.
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Il y a un manque d’équipements attractifs dans les zones sensibles.
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Il y a un manque d’accès au savoir aux nouvelles technologies dans les écoles.
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Il n’y a pas de politique assez incitative pour emprunter les transports en commun.
Mais quelles sont les inégalités les plus préoccupantes sur l’agglomération ?
Les formes d’exclusion sur les « micro-territoires.
Pour la majeure partie des acteurs interviewés la non-mixité sociale, le manque de gestion de la diversité culturelle, l’exclusion territorialisée de certains groupes sociaux, la marginalisation des grands ensembles, la mauvaise image de certains quartiers et leur désertion sont les inégalités les plus préoccupantes sur l’agglomération.
Pourquoi ?
Parce que ceci engendre de la violence et de l’insécurité. Les grandes causes seraient la pauvreté, le manque d’emploi et de desserte en transports collectifs.
Il ressort donc une très grande fragilité de certains micro-territoires de l’agglomération, et très couramment limités aux « quartiers ».
Mais il y a aussi des observations sur de nouvelles formes de pauvreté, de paupérisation, des gens qui dorment dans la rue (et ils associent cette situation à celle des années 55, 60) ; des concentrations d’ethnies (Roumains) se regrouperaient à Gerland, etc.
Alors que la position majoritaire est concentrée sur les micro-territoires, deux interviewés restent totalement opposés dans leur discours. L’un maintient qu’il n’y a pas d’inégalité au niveau de l’aire urbaine et de la RUL mais que les tensions restent « micro » (quartiers sociaux) ; un autre met en avant le fait que la péri urbanisation est « “excluante” au niveau des transports et de l’endettement des ménages ». En ce qui concerne l’aire urbaine, des quartiers à Bourgoin, à l’Isle-d’Abeau et à Villefranche sont ciblés comme problématiques.
Il y a donc intérêt à reconnaître que ces inégalités se concentrent mais sont aussi en train de se diffuser et de se diluer. Ce qui changera la donne.
L’application de la loi SRU, avec son objectif de « renouvellement urbain » peut aussi induire cette diffusion, positive car elle lutte contre la concentration, mais peut être aussi négative car elle induira des ruptures dans les réseaux de sociabilité, d’entraide… Il y a là matière à réflexion et à entamer un travail plus en profondeur.
Y a-t-il des inégalités émergentes ? A cette question correspond une réponse qui laisse de côté l’agglomération lyonnaise pour se poser au niveau de l’aire urbaine : des inégalités par rapport au périurbain, une immobilité contrainte des habitants n’ayant pas choisi d’y habiter, une diffusion de la pauvreté, un endettement dû aux prêts à taux zéro, … la création d’autres territoires de pauvreté plus vastes, moins gérables.
Mais il y a aussi de « nouvelles inégalités » : un manque général d’accès à la culture, aux nouveaux moyens de communication et d’apprentissage (internet, par exemple).
Que dit-on des résultats de la planification ?
Nos interlocuteurs sont assez d’accord pour dire que la planification n’a pas un joué un rôle fondamental pour agir sur les inégalités, mais que ce n’est qu’un outil des politiques publiques. La planification est décrite aussi comme ayant peu de marge de manœuvre, avec beaucoup d’affichage et peu d’efficacité.
Même si les avis sont partagés, d’autres pensent que la planification a permis d’améliorer la qualité de vie, qu’il a été fait beaucoup de progrès, même s’il reste des choses à faire.
Il est cependant reconnu qu’il y a eu une incapacité à gérer sur la longue période des poches de pauvreté et la question se pose encore en ces termes : « Comment arrêter la déqualification de certains territoires ? » Deux critiques sont principalement adressées à la planification dans les entretiens :
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Il y a un manque de fondement du diagnostic et de l’évaluation tirant des traits communs entre des territoires parce qu’il manque une gestion globale urbaine, les PLH, PLU s’ajoutent mais il est très compliqué de concevoir la planification en terme d’articulation.
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Les documents de planification et opérationnels sont timides, voire ont péché par omission du problème.
Et les politiques dans tout ça ?
Il y a consensus pour dire que ni les élus de gauche ni ceux de droite n’ont intérêt à ce que les choses empirent. Il y a aussi consensus pour dire que c’est quand même sur eux que pèse la responsabilité du succès et des échecs des politiques publiques, du fait des divergences quotidiennes et globales dans les décisions. La très grande majorité des interviewés prend pour exemple la question du POS, l’approbation collective des objectifs et la négociation individuelle de la mise en œuvre au quotidien dans chaque commune.
Ceci étant, et malgré la mise en cause des élus in fine, parfois soft mais parfois très appuyée, la grande majorité des espoirs de nos interviewés se reporte sur la « mixité sociale » mais aussi sur la « valorisation » et la « reconnaissance » des population et des sites. On revient donc à la case départ dans les moyens, car il y a quand même des doutes concernant cette « mixité » ; du point de vue de ce que peuvent faire les politiques pour remédier aux inégalités, cette mixité passerait par le logement.
La plupart des urbanistes sont conscients qu’il y a un problème du point de vue de la volonté politique mais aussi de l’organisation institutionnelle pour prendre en compte les problèmes. En effet, l’organisation institutionnelle apparaît comme n’étant pas outillée pour prendre en compte les besoins et les attentes de ces personnes, pour résoudre les inégalité. Mais on note aussi qu’en fonction de la perception des choses, les politiques publiques seront différentes : les politiques prônant la “lutte contre l’exclusion” ont masqué des phénomènes majeurs : la pauvreté, la précarité, l’emploi.
Une préoccupation apparaît : l’incapacité de gérer sur la longue durée des « poches de pauvreté ». Une autre préoccupation, pour certains urbanistes : la notion de renouvellement urbain, car on l’utilise plutôt comme un outil pour “faire disparaître” les populations qui posent des problèmes et non pour faire avec elles. Si le but est de gommer les secteurs déqualifiés, il reste que la dilution des problèmes ou des personnes ne résout pas les problèmes de fond, les causes.
Il y a donc des mises en cause du politique et des politique publiques, et des objectifs tout à fait mesurés et analysés dans leurs effets à moyen et long terme.
Et demain, quid de la planification par rapport à tout ceci ?
Il y a un constat : beaucoup de doutes, beaucoup d’interrogations, mais aussi l’apparition de la participation et de la concertation comme un moyen de résoudre les inégalités. On cherche en somme à mieux faire tout en constatant qu’il y a beaucoup des choses à clarifier. Les interventions doivent être micro et macro… Il doit exister une réflexion autant locale que dans des territoires plus vastes dans l’action urbaine… Et demain ? Certains pensent que peut-être la surenchère ou le surinvestissement sur les quartiers sociaux va changer, car il existe aussi de nouvelles zones dans le périurbain, dans la communauté urbaine, qui posent problème.
Les actions possibles ?
Elles vont donner de l’importance aux « contrats de ville » en tant que vrai contrat d’agglomération avec des actions thématiques précises jusqu’aux actions de communication et de valorisation des populations, de reconnaissance culturelle (qui passe par les événements de haute qualité dans les quartiers…).
Mais toujours : faire attention à la périurbanisation et à tout ce qu’on n’observe pas encore dans ces espaces du point de vue social.
En somme, il y a au moins sept points fondamentaux dans les discours d’acteurs par rapport à aux politiques publiques et à la planification urbaine de demain :
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Agir sur la structure de base de l’inégalité, en créant de l’emploi et en agissant sur des politiques économiques nouvelles et des financements plus justes.
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Intervenir en parallèle au niveau micro- et macro-spatial. En fait, il ne faut pas oublier que la gestion des grands territoires est une urgence. Il faut structurer l’espace périurbain pour qu’il ne génère pas de concentration et de délaissés des services, des commerces et des équipements. Travailler sur les services de proximité à toutes les échelles. Pour cela est soulevée la question des échelles des documents de planification tel que le SCOT : « Comment ne pas arriver à une accumulation de multiples mini-SCOT en cours de montage ? Quelle en sera alors l’efficacité? Il faut privilégier des documents comme ceux de la DTA par exemple. Il faut mieux planifier la première et la deuxième couronne.
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Donner de l’importance aux contrats de ville en tant que vrais contrats d’agglomération avec des actions thématiques précises allant vers des discriminations positives.
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Privilégier le partenariat entre l’État, la communauté urbaine, les partenaires sociaux. Le SCOT par exemple doit s’effectuer à l’échelle de l’aire urbaine et travailler en partenariat avec des groupes de travail, des sociologues, des urbanistes et doit toucher à différents volets de l’action publique. Cela rejoint l’idée d’un SCOT plus volontaire, qui s’attaque à la question des inégalités au-delà des constats communs.
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Maîtriser le foncier, pour qu’il devienne plus « égalitaire », plus abordable.
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Intégrer les questions sociales et les inégalités dans un plan de développement économique d’agglomération.
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Faire davantage de concertation de projet : il faut que les grands documents de planification « fassent beaucoup moins vitrine, marketing » mais qu’ils soient davantage des grands projets urbains avec des concertations approfondies en faisant travailler les conseils de quartier.
Quelles sont les répercussions sur la mobilité ?
Peu abordée en termes d’inégalité, la question est plutôt abordée en terme de transport et d’accès aux équipements.
Il est dit globalement dans les entretiens comme dans les documents de planification que la desserte dans les banlieues est insuffisante et que les victimes de l’immobilité sont les personnes vivant dans le périurbain avec des accès limités aux services et aux équipements.
La mobilité est ici associée à la liberté.
De manière générale, trois choses sont préconisées : aider à la mobilité en favorisant les tarifs préférentiels pour les personnes à faible revenu, améliorer la qualité et les dessertes de transports en commun en banlieue, inciter les usagers à laisser leur automobile à l’entrée de la ville Et de manière globale, on s’accorde à dire qu’il n’y a pas de politique spécifique en termes de transports et inégalité, malgré l’affichage de projets majeurs en lien avec les quartiers de la politique de la ville. Certains s’interrogent sur la nécessité de cibler ces quartiers ou de penser plutôt agglomération.
Cette analyse des discours de quelques acteurs locaux et nationaux a permis de faire ressortir les représentations les plus fortes ainsi que des avis non convergents voire des avis marginaux.
Cela permet de constater quelques convergences, et la perméabilité entre les discours nationaux et locaux, entre la recherche et la construction d’un langage globalisant ou spécifique des politiques et aménageurs.
Mais, plus important, il s’agit de donner une vision « moins institutionnalisée », donc moins contrainte par le poids des discours convenus ou « politiquement corrects ». C’est ce qui nous semble être un atout pour construire plus tard un débat plus facile sur la question des inégalités et de ses solutions à court, moyen et long terme.
Para ir más allá
Tiré de la synthèse de recherche du PUCA : « Différences et inégalités territoriales, quel lien avec la mobilité ? Réalités et perceptions vues à travers la planification et les discours d’acteurs dans l’aire urbaine de Lyon », février 2002