L’énergie des terrils : le fabuleux redressement de Loos-en-Gohelle

Michel Berry, June 2018

École de Paris du management

Sur un même territoire, deux villes voisines sont citées en exemple : Hénin-Beaumont, connue pour vivre sous l’œil des caméras les spasmes du “dégagisme” à chaque élection, et Loos-en-Gohelle, devenue la commune de référence de la COP21. Comment expliquer une telle différence de destins ?

L’ancien bassin minier de Lens est lentement mais sûrement devenu une terre de désolation. Y ont jailli de monumentales montagnes artificielles qui rappellent à tous le rôle économique historique de la région, mais aussi et surtout la richesse que fut l’énergie extraite de la mine, partie ailleurs en ne laissant sur place que le rebut, les crassiers.

La mue d’une ville minière où tout allait mal

Jean-François Caron, élu en 2001 maire écologiste de Loos-en-Gohelle, s’est retrouvé face à un défi : « Le sol a baissé de quinze mètres suite aux affaissements miniers, les ruisseaux coulent à contre-sens et les points bas ne cessent de changer. Le chômage est considérable. Les mineurs qui étaient vus comme le fleuron de l’activité ouvrière sont devenus les “tarés” de la France : une banderole affichant au Parc des Princes « Nordistes = consanguins, pédophiles, alcooliques » a été reprise en boucle par les médias. Quand un journaliste veut parler du Nord à la télévision, il choisit des interlocuteurs parlant ch’ti et qu’il pourra sous-titrer, des enfants qui ont le nez qui coule et des carreaux cassés. »

Reconquérir cette dignité perdue a été essentiel dans sa stratégie. Et avec quel succès !

Il a fait du développement durable l’affaire de tous, si bien que Loos-en-Gohelle fut choisie pour être la commune de référence de la Cop21. Les incivilités ont quasiment disparu et le taux de plaintes entre voisins est très inférieur à ceux des communes alentour. Le retour de la fierté et de la confiance a créé une nouvelle civilité. Jean-François Caron a été réélu maire en 2008 avec 82,1 % des voix, en 2014 avec 100 %… une première pour un politique, un rêve éveillé pour un écologiste !

Créer de la fierté

Redonner à la population une estime de soi a été sa priorité. Découvrant que les deux terrils de la ville avaient la même taille que la pyramide de Khéops, il a lancé le projet de la Chaîne des terrils en 1988, qui suscita l’enthousiasme et abouti, en 2012, à l’inscription du bassin minier au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Le maire encourageant ses administrés à prendre des initiatives originales, les femmes du foyer logement, qui tricotaient des carrés de laine que les enfants du collège vendaient 1 euro pour alimenter les Restos du cœur, ont mobilisé la population pour faire une couverture pour le terril. Le maire a dû négocier avec elles, car il aurait fallu des engins de manutention lourds pour l’installer et la sécuriser, et a obtenu qu’elles fassent une écharpe qui a été déroulée du haut en bas du terril. L’événement a eu lieu devant les caméras de France 3. « C’était une œuvre collective, réalisée juste pour le plaisir d’être ensemble et de prendre sa part à l’inscription du terril à l’inventaire de l’Unesco, et cela s’est terminé par un pique-nique géant », témoigne Jean-François Caron.

Associer tout le monde

Il a beaucoup travaillé à la mise au point d’une démocratie “impliquante”. La mise en route a été longue, car il fallait donner confiance aux administrés et convaincre les cadres de la mairie d’écouter et de ne pas chercher uniquement à se justifier. À la longue, les habitants sont devenus plus pertinents, voire impertinents. « Plus on travaille avec eux, plus l’expertise d’usage est présente et meilleure est l’intelligence des projets. C’est ainsi que Loos est devenue un haut lieu de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération. »

Le nombre d’associations a doublé, la participation de la population à des dynamiques comme les fêtes de quartier ou les voyages pour faire découvrir la mer à des enfants a été multipliée par dix. Le concept de fifty-fifty a été développé : si les habitants prennent des initiatives, la commune y contribue dans le cadre d’une charte qui définit les rôles respectifs.

Une dynamique vertueuse

Les initiatives se sont ainsi multipliées : renouvellement de l’éclairage public, investissement dans l’écoconstruction, élaboration d’une politique d’écomobilité, promotion de l’économie circulaire par les commandes publiques. La toiture de l’église a été entièrement couverte de panneaux solaires, ce qui frappe les imaginaires. Un modèle agricole et alimentaire centré sur la production locale et bio se met en place, etc.

Le nombre de commerces augmente et les locaux commencent à manquer. Un pôle de compétitivité fédérant les principaux acteurs de l’économie circulaire est créé à Loos-en-Gohelle. La Fondation d’Auteuil installe un centre pour 350 apprentis dans les métiers de l’écoconstruction. Cette dynamique, génératrice d’emplois, montre que la croissance “verte” peut être bénéfique pour tous.

Faire école

Les réussites des entreprenants ne sont pas facilement contagieuses, mais Jean-François Caron s’attache maintenant à essaimer en transmettant son “code source” qu’il définit ainsi :

En rendant fertile la terre en apparence la plus stérile, en transformant les montagnes artificielles en modèles, Jean-François Caron montre la puissance communicative de l’esprit entreprenant, qui peut s’exprimer bien au-delà du seul champ économique.

Sources

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