Les enjeux environnementaux de la mobilité urbaine.

Mesures économiques et comportements individuels

Frédéric Larose, 2011

Des politiques locales sont nécessaires pour promouvoir les modes alternatifs, créer les conditions à un usage moins systématique de la voiture individuelle, mais également pour mieux maîtriser l’étalement, responsable en partie de l’allongement des distances. Ces politiques sont indispensables et complémentaires aux différents dispositifs économiques et fiscaux énoncés plus haut. La sensibilisation des individus concernant les effets néfastes de l’utilisation de l’automobile et les campagnes incitatives pour se déplacer autrement sont certainement plus efficaces pour modifier durablement les comportements et réduire les émissions de gaz à effet de serre que de simples mesures fiscales n’agissant que sur le coût économique de la mobilité.

La mobilité des hommes et des marchandises et les conditions de mobilité de ces derniers jouent un rôle indispensable pour le bien-être de la société. Ayant une valeur sociale très positive, la mobilité comprise comme le fait d’être mobile, est souvent considérée comme l’une des conditions majeures de l’intégration et de réussite sociales. Pourtant, si le développement de la mobilité urbaine, notamment à partir des années 1960 avec la démocratisation de l’automobile, a permis à l’économie de prospérer et aux interactions sociales de se multiplier, il a impact plus que négatif sur l’environnement. Les transports urbains génèrent en effet des nuisances environnementales, sonores et sanitaires, ainsi que des externalités négatives participant à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et à la dégradation de la qualité de l’air. D’autres effets négatifs beaucoup moins étudiés sont également à prendre en compte comme la consommation d’espace, à travers l’étalement urbain et la construction d’infrastructures de transport.

Deuxième secteur le plus polluant après les industries de l’énergie, le secteur des transports est l’un des rares secteurs a voir ses émissions de gaz à effets de serre augmenter de façon continue. En France, le transport routier est non seulement le premier contributeur du secteur des transport aux émissions de gaz à effet de serre, mais aussi le secteur dont la contribution a le plus augmenté entre 1990 et 2006 : ses émissions ont augmenté de 20 % depuis 1990 et ce malgré la hausse du prix des carburants. Cela s’explique par un accroissement du nombre de véhicules par ménage et d’un allongement des distances parcourues quotidiennement. Le fait que la hausse du prix de l’essence n’incite pas à un changement de comportement témoigne d’un manque d’alternatives crédibles en termes de déplacement.

Les politiques de mobilité durable visant un équilibre entre croissance économique, bien-être social et la protection de l’environnement, ont pour objectifs principaux la mise en place d’un système de transport plus propre et innovant. En France, les objectifs inscrits dans le Grenelle de l’environnement et le Plan Climat 2004-2012 ont pour ambition de ramener les émissions de transports à leur niveau de 1990 d’ici 2020, grâce au développement des modes alternatifs plus respectueux de l’environnement et à l’utilisation massive des biocarburants. Toute la difficulté d’une telle politique est la mise en place d’une dynamique complémentaire entre les initiatives locales et les décisions d’Etat. Si les collectivités locales sont compétentes en termes d’urbanisme et de planification des transports à l’échelle des bassins de vie, le rôle de l’Etat sera plus de l’ordre de la fiscalité.

Des outils politiques…

Les grandes politiques environnementales actuelles s’intéressent principalement à une tarification des usages des infrastructures et des modes de transport permettant d’internaliser les coûts externes qui n’entrent pas dans le jeu du marché. Les taxes environnementales et les marchés de droits à polluer constituent pour de nombreux économistes des politiques efficaces permettant aux usagers des transports de payer le juste prix de leurs déplacements.

Le principe du pollueur-payeur

Les systèmes de taxation des automobilistes et des véhicules particulièrement polluant reprenant le principe du « pollueur-payeur » sont assez nombreux et ont pour objectifs de modifier les comportements des usagers, sans pour autant réduire significativement leur mobilité. On peut citer comme exemple connu le système de bonus-malus à l’achat d’un véhicule neuf, qui oriente les consommateurs et les industries automobiles à favoriser les véhicules émettant moins de CO2. Certaines communes ont décidé d’aller plus loin et versent des primes pour l’achat d’un vélo électrique. Il est vrai que l’on pourrait s’étonner de voir l’Etat verser des primes à des véhicules motorisés moins polluant (mais polluant quand même), alors que les alternatives propres comme le vélo (électrique ou pas) ne soient pas plus valorisées.

Le cas de la TIPP (Taxe Intérieure de consommation sur les Produits Pétrolier) pourrait être considéré comme une écotaxe, dans la mesure où elle s’applique à la consommation de carburants, mais les recettes ne sont pas directement affectées aux politiques de transports.

Un exemple de péage écologique urbain

Plus récemment, la ville de Milan en Italie a depuis quelques années mis en place un péage urbain écologique dans le but d’améliorer la qualité de l’air dans son centre-ville. Les véhicules les plus polluants souhaitant se rendre dans le centre-ville historique doivent s’acquitter d’une taxe baptisée Ecopass, dont le coût oscille entre 2 et 10 euros selon le niveau de rejet d’émissions. L’accès reste libre et gratuit aux transports collectifs et aux vélos. L’objectif est d’inciter les usagers à laisser leur véhicule à l’entrée de la ville et d’utiliser d’autres modes de transports dans leur chaîne de déplacements. Les résultats se sont montrés particulièrement positifs puisque la présence de poussières fines dans le périmètre concerné a diminué de 20 % et le nombre de véhicules circulant dans le centre-ville a également baissé de 15 %. Pourtant, on note déjà que le nombre de véhicules peu polluants entrant dans cette zone est en augmentation, rappelant que l’exemple du péage de Milan reste avant tout un péage écologique, visant à améliorer la qualité de l’air et pas directement les comportements des automobilistes. Si le péage a effectivement permis une diminution de la circulation automobile, c’est parce qu’il s’insère dans une politique de mobilité beaucoup plus large à travers des politiques de stationnement, de transports en commun, d’aménagement de pistes cyclables ou encore de sensibilisation.

Transport et marché des droits à polluer

Autre mesure économique, les marchés de permis d’émission négociables (PEN) appliqués aux transports motorisés sont souvent cités comme moyen de limiter les émissions de gaz à effets de serre. Ce dispositif, déjà appliqué à certaines usines particulièrement polluantes, pourrait être appliqué aux réseaux routiers et dans un premier temps aux transports de marchandises transitant par la route. L’idée principale de ce dispositif est d’instaurer un marché de droits à polluer (ou à circuler), permettant, après distribution de titres, de les échanger ou de les vendre à un prix fixé par l’offre et la demande. Le nombre de titres serait équitablement réparti entre chaque individu et serait fixé par une autorité régulatrice. Les individus n’utilisant que les transports collectifs pourront vendre leur surplus de titres aux automobilistes qui dépassent leur quota. Ce dispositif est intéressant, car il encourage sous certaines conditions les automobilistes à modifier leurs comportements tout en étant récompensés. Il permet également de limiter l’usage irrationnel de la voiture, notamment sur les petites distances.

La difficulté d’un tel dispositif est son application. L’efficacité des marchés de PEN repose sur le prix d’équilibre des droits à polluer, qui doit être ni trop bas, ni trop haut, afin de d’avoir un réel effet incitatif. Pour cela, l’autorité régulatrice ne peut influencer le prix d’équilibre uniquement via le nombre de titres distribués, qui sans connaissance préalable du coût des effets négatifs de la pollution automobile est difficile à estimer. Deuxièmement, ce système pose des problèmes d’équité, les personnes dépendantes de leur voiture étant plus pénalisées que les autres. Enfin, la mise en œuvre de ce système pose des problèmes techniques et financiers, dont le coût peut s’avérer très élevé pour des retombées incertaines.

…réellement efficaces ?

On peut émettre des doutes sur l’efficacité des politiques purement économiques sur le comportement des usagers et notamment des automobilistes. On ne peut pas non plus tout attendre du progrès technologique. Les progrès technologiques et les incitations financière ont certes des effets positifs en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre par véhicule, mais il n’empêche pas l’usage toujours plus important de l’automobile. Entre 1990 et 2005, la circulation routière a augmenté de 30 % et malgré les mesures et les normes anti-pollution, les émissions de CO2 ont augmenté de 18 % sur la même période, ce qui en contradiction avec l’objectif de les ramener en 2025 à leur niveau de 1990. Ce n’est donc pas améliorant l’efficacité des moteurs ou en taxant les véhicules polluants, que l’air deviendra plus pur. Ces mesures ne modifient pas non plus le comportement des automobilistes toujours plus nombreux sur les routes. Réduire l’usage de la voiture et promouvoir les déplacements de proximité apparaissent donc comme les solutions les plus crédibles pour diminuer les rejets de gaz à effet de serre.

Sources

DESSUS Benjamin, GIRARD Bruce, 2009, L’état des lieux, in Vers la sortie de route ? Les transports face aux défis de l’énergie et du climat. Global Chance.