Étalement urbain et mobilité quotidienne.

Quelles conséquences sur les conditions de mobilité ?

2011

Lutter contre l’étalement urbain doit reposer avant tout sur une lutte contre la dynamique de l’étalement afin d’éviter l’amplification du phénomène, et non contre les territoires périurbains et leurs populations. Chacun doit pouvoir se loger décemment et à un coût compatible avec son budget tout en supportant des coûts de transports raisonnables. Pour mener une telle politique, il est nécessaire de penser conjointement urbanisme et mobilité et donc de coordonner des politiques sectorielles auxquelles les élus locaux sont peu habitués.

L’étalement urbain est une nouvelle forme d’urbanisation, consommant plus de terrain par habitant et s’écartant de plus en plus du modèle de la ville compacte désignant une urbanisation sous forme de maisons de villes, d’immeubles contigus et d’habitats groupés dont l’accroissement se faisait naturellement en continuité des urbanisations antérieures.

Aujourd’hui, il est certainement plus juste d’employer le terme de périurbanisation, dans la mesure, où l’étalement urbain touche de plus en plus les petites et moyennes communes, ce qui correspond plus à un « éparpillement » qu’un réel étalement. Ainsi l’étalement urbain peut être compris comme une extension urbaine en continuité de la ville, et la périurbanisation comme une extension urbaine en discontinuité. Pour des raisons de simplicité, nous comprendrons le terme d’étalement urbain et de périurbanisation en tant que propension des aires urbaines à croître et à se développer sous forme de lotissements sur des périmètres beaucoup plus larges qu’autrefois.

Il ne fait aucun doute que la mobilité facilitée est à l’origine de l’étalement urbain, mais pas dans une relation univoque qui lierait mécaniquement les deux phénomènes, indépendamment d’autres paramètres. Ce lien est de nature systémique, du fait que la forme d’une agglomération urbaine est le résultat d’un équilibre entre des forces de concentration et des forces de dispersion, qui dépendent elles-mêmes de façon complexe de divers paramètres. En fait, il faut se poser la question de ce qui entraîne les individus et le bâti à s’agglomérer dans un centre dense, et ce qui au contraire, les pousse à s’étendre au-delà des limites de la ville historique.

La mobilité facilitée conditionne l’étalement urbain

La mobilité facilitée, en élargissant l’univers de choix des ménages pour leur habitat et des entreprises à se relocaliser ou à se localiser, a participé au processus de dispersion et d’étalement urbain. Les forces de concentration qui ont longtemps reposées sur la recherche de performances économiques à travers l’importance des interactions sociales avec des acteurs très différents et donc très complémentaires, sont aujourd’hui mises à mal par la « vitesse bon marché » qui rend moins nécessaire la densité et l’imbrication spatiale des fonctions urbaines. Les forces de dispersion sont de deux natures. Elles concernent premièrement la volonté des ménages de s’approprier un espace de vie en évitant les inconvénients de la promiscuité urbaine. La recherche d’une plus grande intimité, plus proche de la nature, est culturellement très présente dans les aspirations individuelles. De plus, les mutations sociales au sein de la famille font que le nombre de ménages augmente beaucoup plus vite que le nombre d’habitants, rendant nécessaire la construction de nouveaux logements. La deuxième force de dispersion, et certainement la plus importante, est justement à relier au marché du foncier, qui d’une certaine mesure, régule la progression de l’étalement urbain. La hausse continue des prix de l’immobilier pousse naturellement les ménages les moins fortunés souhaitant devenir propriétaire à s’éloigner des centres-villes réservés aux seules élites économiques. La mobilité n’est donc pas en soi la cause de l’étalement urbain, mais une condition qui tend à accélérer le processus de dispersion.

L’aptitude à se déplacer et le coût que va consentir chaque ménage pour se déplacer quotidiennement, font partie intégrante du coût réel d’un logement. Devenir propriétaire dans une maison individuelle en périphérie d’une grande ville, implique nécessairement d’accepter des déplacements quotidiens plus longs, et donc d’affecter un budget non négligeable à ces déplacements. Cependant, le processus de périurbanisation qui touche désormais de plus en plus les petites et moyennes villes est loin d’être uniquement la cause d’une volonté des ménages de vivre loin des centres-villes et de profiter de plus grands espaces. Tous les habitants des espaces périurbains ne sont pas satisfaits de leur condition de vie et notamment de leurs conditions de mobilité très dépendantes de l’automobile. Certains ménages ont fait le choix de s’installer en périphérie pour profiter d’un prix du foncier plus acceptable, mais n’ont pas toujours pris suffisamment conscience des coûts supplémentaires qu’ils allaient devoir supporter. Dans de nombreux cas, les économies réalisées sur le prix du foncier sont compensées par la hausse des coûts de déplacements, notamment des coûts liés à l’usage exclusif de l’automobile.

Une tendance qui affecte les conditions de mobilité

L’étalement urbain a des raisons de continuer à prospérer. Premièrement, le marché de l’immobilier exclut la grande majorité des ménages des centres-villes. L’impossibilité de construire de nouveaux habitats en centre-ville et le manque de logements sociaux poussent les moins fortunés à migrer vers la périphérie, s’éloignant de fait de leur lieu de travail. Deuxièmement, tant que les infrastructures de transports et les coûts de la mobilité individuelle favorisent la diffusion urbaine et un usage exclusif de la voiture, les espaces urbains peu denses continueront d’absorber une partie des habitants des centres-villes. On peut également citer parmi les causes de l’étalement urbain la responsabilité des collectivités locales et l’absence de document de planification à l’échelle intercommunale permettant de limiter l’extension des aires urbaines. Nous voyons donc que l’étalement urbain d’aujourd’hui touche deux catégories sociales opposées entre ceux qui peuvent se permettre de s’installer en périphérie pour des raisons de confort et de modes de vie, et ceux, qui pour des raisons économiques, sont contraints d’habiter aux marges des agglomérations. Dans les deux cas, les conditions de mobilité sont fortement affectées.

Concernant la question des mobilités quotidiennes, on peut affirmer que l’étalement urbain contribue à la croissance des kilomètres parcourus et donc à l’allongement des distances. Selon Jean-Pierre Orfeuil, chercheur sur les questions de mobilité urbaine, l’étalement urbain est devenu progressivement le dernier moteur de la croissance du trafic routier local, de la même façon que le tourisme et les loisirs sont les moteurs principaux de l’extension du trafic non local. Habiter dans un secteur peu dense et mal équipé induit des déplacements deux fois plus longs et même presque trois fois plus longs, si on compare à des ménages ayant des revenus équivalents en secteur urbain dense. Cette sur-mobilité périurbaine n’est cependant pas la seule explication à la croissance des distances parcourues. On note de plus en plus, au sein des villes une importante discordance entre la nature des emplois et les caractéristiques des parcs d’habitat. Ainsi, l’étalement urbain n’a jamais expliqué à lui seul la croissance des flux de déplacements. Les autres grands facteurs s’expliquent par l’évolution des modes de vie et la spécialisation sociale et fonctionnelle de l’espace (dont l’étalement urbain, n’est qu’une manifestation parmi d’autres).

La question du vieillissement de la population ne doit pas non plus être négligée. Les personnes âgées étant de plus en plus nombreuses à vivre à l’écart des centres-villes, pour des raisons de revenus et de tranquillité, il devient important de s’interroger sur les conditions d’accessibilité aux services de proximité pour les ménages les plus vulnérables et les moins mobiles.

La plupart des spécialistes s’accordent à dire qu’il faut mieux maîtriser l’étalement urbain, pour des raisons environnementales, sociales et économiques. Nous nous intéresserons ici uniquement aux conséquences sociales.

Etalement urbain et dépendance automobile

L’étalement urbain est à l’origine de la ville motorisée. L’automobile étant devenue la norme en termes de mobilité, l’organisation urbaine qu’elle implique rend très dépendantes les personnes les moins mobiles. Cette dépendance se traduit soit par un usage exclusif de l’automobile pour ceux qui en ont les moyens, soit par un isolement social et de grandes difficultés à s’insérer dans le monde du travail. En zone périurbaine, l’aptitude à la mobilité est l’une des conditions fondamentales à l’accès à l’emploi et aux différents services urbains. La mobilité résidentielle étant très restreinte par la pénurie du nombre de logements, la mobilité quotidienne facilitée par les modes de transports rapides devient le seul facteur d’intégration sociale. Ne pas avoir accès à une mobilité par les transports en commun signifie être dépendant d’un milieu urbain n’offrant peu ou pas de services et très souvent aucun emploi, et donc d’être condamné à la précarité. La hausse des prix des carburants pourrait avoir de graves conséquences sur la possibilité de certains ménages à se déplacer dont la première conséquence serait une diminution du champ des possibles en termes d’opportunité d’emplois et de services.

Le manque d’offre de services de transports publics en milieu peu dense s’explique dans la plupart des cas par leur non rentabilité et leur faible vitesse commerciale. Les distances entre habitats, lieux de travail et commerces étant importantes dans le périurbain, la plupart des ménages se tournent naturellement vers la voiture individuelle. Les individus captifs aux transports en commun étant très dépendants des services de transport publics, de leur vitesse commerciale, de leurs horaires, de leur régularité et des territoires desservis

L’étalement urbain participe également au renforcement de la ségrégation socio-spatiale. Les ménages les plus aisés voient dans l’étalement urbain un plus grand nombre de possibilités de localisation résidentielle, leur permettant de fuir les territoires les plus dégradés, ces ménages étant naturellement attirés par des territoires dont l’image correspond à leur statut social. Ces transferts de populations et de richesses, liés à une offre de logement plus étalée et à d’importantes capacités de mobilité, tendent à renforcer la concentration de certaines classes sociales au sein des territoires périphériques.

Une approche de l’accessibilité par la vitesse

La caractéristique des espaces urbains diffus est le fort degré de spécialisation fonctionnelle des territoires. Alors que la ville dense est caractérisée par une mixité fonctionnelle, les grandes périphéries présentent au contraire une nette séparation des activités urbaines. Cette opposition résulte d’une approche différente du concept d’accessibilité, l’une basée sur la densité, l’autre sur la vitesse.

Dans les territoires peu denses, l’accessibilité des lieux ne se fait pas par la proximité spatiale, mais par les potentiels de vitesse offerts par les grandes infrastructures de transports. Ainsi leur morphologie repose quasi exclusivement sur les flux de déplacement et notamment automobiles, dont la vitesse permet une dispersion marquée des centres d’activités des ménages périurbains.

Les nœuds de transport les plus accessibles deviennent des emplacements privilégiés pour l’ensemble des activités industrielles et tertiaires, comme le montre la présence le long des grandes routes de grandes enseignes de distribution et dont les imposantes aires de stationnement témoignent de leur attractivité. Parallèlement, les zones résidentielles, étalées et peu denses, se forment dans une optique de stricte séparation des fonctions urbaines, afin de favoriser un habitat individuel et familiale avec de grands espaces verts, mais sans services de proximité.

En France, les extensions urbaines ont rarement été accompagnées d’infrastructures de transports collectifs. Les faibles densités et les distances parcourues quotidiennement par les ménages rendent aujourd’hui difficile la mise en place d’un système de transport en commun, qui puisse représenter une réelle alternative à la voiture individuelle.

Ce modèle urbain repose sur l’aptitude des ménages à se déplacer individuellement, rapidement et sur de longues distances. C’est pourquoi il devient plus que nécessaire de penser de nouvelles politiques d’urbanisme en même temps que les politiques de transports, afin premièrement de limiter la dépendance des individus à l’automobile, en leur proposant des alternatives moins coûteuses et plus respectueuses de l’environnement, et dans un second temps afin de permettre la mixité des activités urbaines au sein des quartiers les plus défavorisés.