Le droit à la ville a-t-il sa place dans le Nouvel agenda urbain ?
2016
Le processus de préparation de la troisième conférence de l’ONU sur le logement et le développement urbain1 est une opportunité pour développer des contenus plus précis du futur « Nouvel agenda urbain ». Ainsi, différentes organisations de la société civile et des réseaux des autorités locales se sont mobilisées ces deux dernières années, dans les espaces officiels comme dans ceux créés de manière autonome, afin d’approfondir les débats, réfléchir sur les avancées et les défis, et développer des messages communs et des plans d’action pour les dix prochaines années.
HIC fait partie des réseaux internationaux qui a eu la chance mais aussi l’énorme responsabilité d’avoir participé activement aux deux précédentes conférences (Habitat I à Vancouver en 1976 et Habitat II à Istanbul en 1996). C’est pourquoi nous avons officiellement fait part de notre préoccupation et de nos propositions. Nous avons ainsi réussi à articuler les propositions de nombreux acteurs, dès les événements préparatoires de Medellín en 2014, autour de trois axes :
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la nécessité de conserver une approche holistique et globale du territoire sans le limiter aux zones urbaines, et l’évaluation de la mise en œuvre des engagements pris par les différents acteurs faisant partie de l’Agenda Habitat (1996);
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le mandat pour incorporer une approche transversale et impérative des droits humains, selon les standards internationaux et les avancées dans de nombreuses villes et pays ces vingt dernières années ;
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la forte demande des acteurs non étatiques pour une participation étendue et significative aux débats et espaces de prise de décision, afin de donner plus d’importance aux voix des communautés et des personnes traditionnellement exclues.
Ces demandes ont fait écho à celles d’autres acteurs et elles se sont précisées grâce au travail de la Plateforme globale pour le droit à la ville, un réseau international de plus de 250 organisations de la société civile, de mouvements sociaux, d’institutions universitaires et d’autorités locales2. Cette plateforme a activement participé au processus d’Habitat III, à l’intérieur et en dehors des espaces officiels. Parmi les activités les plus importantes, il est intéressant de souligner son engagement dans les événements régionaux et thématiques préparatoires avec l’incorporation de contenus dans de nombreuses déclarations et documents. En même temps, un certain nombre de ses représentants ont rejoint les groupes d’expert-es au sein des « unités politiques » (policy units), chargées d’élaborer les thématiques de fonds pour l’Agenda urbain.
En parallèle, et de manière autonome et coordonnée, des rencontres régionales en Amérique latine, Afrique, Europe et Asie ont eu lieu pour donner de l’ampleur à la mobilisation, au débat et développer des propositions communes pour avancer vers un agenda pour le droit à la ville, au niveau local et national. De nombreux échanges d’expériences ont eu lieu ainsi que des ateliers de formation, des travaux de recherche, de compilation et d’analyse de cas, et enfin, des recommandations pour les politiques publiques et des instruments de planification et de gestion urbaine démocratique, inclusive et durable.
À ce moment précis du processus, il est possible d’affirmer que le brouillon du Nouvel agenda urbain mentionne de manière générale le droit à la ville et plusieurs de ses composantes fondamentales comme : la vision globale du territoire, le respect des droits humains et, la fonction sociale de la terre et la captation des plus-values créées par le développement urbain (sans pour autant préciser à quoi elles devraient être utilisées), la garantie de la participation citoyenne et sociale durable, tant dans la conception que dans la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques et des budgets publics, la nécessité d’une plus grande coordination entre les institutions à l’intérieur et entre les différentes institutions gouvernementales, la reconnaissance de la contribution du secteur informel à l’économie urbaine, et l’engagement pour une gestion responsable et durable des ressources naturelles, énergétiques, patrimoniales et culturelles. Il est important d’insister sur le rôle des acteurs sous-nationaux et des autorités locales afin d’avancer vers des villes plus inclusives, participatives, résilientes et durables.
Il est toutefois indispensable de reconnaître de nombreuses limites et certaines contradictions. Nous devons en débattre dans les espaces de dialogue et de négociation prévus avant l’approbation du texte final lors de la conférence à Quito, afin de les dépasser. Les points suivants doivent attirer toute notre attention :
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Une assimilation malheureuse entre le terme de villes pour toutes et tous et le droit à la ville, qui ne tient pas compte des débats et des avancées théoriques, programmatiques, juridiques et des pratiques sociales organisées que ce concept porte dans différentes parties du monde.
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Une vision qui prétend être fondée sur les personnes mais qui reprend des critères de compétitivité et de création d’un environnement propice aux négoces, dans différentes parties du texte.
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Une mention insuffisante quant à l’urgence de mettre fin aux expulsions forcées et de promouvoir et garantir la sécurité de l’occupation du logement et du foncier, en apportant une protection particulière aux personnes en situation de marginalité et de vulnérabilité.
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Le manque de reconnaissance de la production sociale de l’habitat en tant qu’option non seulement viable mais aussi majoritaire dans une grande partie des villes du sud global. Pourtant, cette option est capable de mobiliser un large spectre d’acteurs et de ressources – monétaires ou non –, qui contribuent largement à l’économie nationale, régionale et locale. Elle a donc besoin d’un système cohérent de soutien avec des instruments normatifs, financiers et une assistance technique spécifique.
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Une référence très limitée à l’économie sociale et solidaire, sans aucune mention du rôle qu’elle joue actuellement ou qu’elle pourrait jouer pour la cohésion sociale, la lutte contre les inégalités et la réduction de l’empreinte écologique.
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Une vision limitée et contradictoire de l’espace public, qui laisse de côté les équipements et infrastructures des communautés et les projets autogérés et qui ne reconnaît pas leurs dimensions politiques et pédagogiques. Cette vision met la promotion de la diversité (bien que seulement) culturelle, la création de ressources économiques et la hausse de la valeur de la propriété au même niveau !
Rétrospectivement, si l’on adopte un regard critique, des questions fondamentales surgissent : qu’apporte de nouveau le Nouvel agenda urbain par rapport à l’agenda Habitat ? Quelle vision de transformation de l’avenir nous offre-t-il ? Comment s’assurer que ces engagements soient respectés ? Des centaines de villes et de collectifs citoyens pratiquent aujourd’hui une gamme variée d’utopies possibles pour la construction de territoires plus justes et solidaires, qui respectent les biens communs et les besoins et droits des futures générations. Des millions de personnes et d’autorités locales exigent aujourd’hui dans le monde entier plus de démocratie participative, directe, pour les communautés, comme une voie vers la construction de l’égalité, le bien-être et la paix dont nous avons tant besoin.
Le Nouvel agenda urbain arrivera-t-il à relever ce défi ?
1 Mieux connue sous le nom d’Habitat III, cette conférence aura lieu à Quito en Équateur en octobre 2016
2 Parmi lesquelles le Forum national pour la réforme urbaine (Brésil), l’Université latino-américaine de sciences sociales/Conseil latino-américain de sciences sociales (FLACSO/CLACSO), la Commission d’inclusion sociale, démocratie participative et des droits humains du CGLU, Habitat pour l’humanité, la Commission Huairou, l’Alliance internationale des habitants, le Réseau international d’économie sociale et solidaire (RIPESS), le réseau Mujer y Hábitat, Shack/Slum Dwellers International (SDI), Street Net International et WIEGO
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