Les jardins Cultivons la solidarité

Comment faire refleurir le lien social en cultivant des légumes biologiques

Ina Ranson, 1999

Une initiative locale en faveur de l’économie sociale et solidaire, à travers la mise en oeuvre de jardins d’insertion qui visent d’une part, la production de légumes locale et, d’autre part, l’insertion de personnes éloignées de l’emploi.

« Vous avez besoin de légumes, ils ont besoin de travail, alors ensemble, cultivons la solidarité ! » Tel est le slogan des « jardins de Cocagne ». Expérimentés depuis une dizaine d’années en Suisse, depuis un peu moins longtemps en France, ces jardins collectifs ont un succès grandissant. Leur objectif est à la fois l’insertion sociale pour des personnes en difficulté et l’auto-production de légumes biologiques de saison, à la manière d’une coopérative. Depuis trois ans, les Jardins - Cultivons la Solidarité se multiplient à travers la France. On en compte aujourd’hui plus de cinquante. Le mouvement est fortement soutenu par la Fédération Nationale des associations d’accueil et de réadaptation sociale (Fnars).

Un jardin de Cocagne près de Besançon

Le jardin collectif de Chalezeule, village aux portes de Besançon à vocation traditionnellement agricole et qui perd ses agriculteurs, a été fondé en 1991 par une association engagée contre l’exclusion sociale. Depuis 1991, ce jardin a fourni du travail à 80 personnes. Il réunit aujourd’hui près de 300 adhérents bénéficiant de ses produits de culture biologique, participant, s’ils le désirent, aux travaux de jardinage ou venant simplement s’y détendre.

La part annuelle qui correspond à la consommation d’une famille de quatre personnes, s’élève à 3000 francs, mais il est possible d’acquérir des demi-parts. Cette part ou demi-part fait l’objet de conditions de paiement mensuel, trimestriel ou annuel. Chaque adhérent reçoit une fois par semaine un panier garni de produits de qualité à un prix défiant toute concurrence, et il offre en même temps du travail à des personnes en difficulté sociale.

Les recettes d’argent provenant des parts de légumes, complétées par des subventions prenant en charge le surcoût social, permettent d’embaucher un ou deux maraîchers professionnels, de louer le terrain et d’acheter le matériel nécessaire au fonctionnement du jardin et enfin de proposer du travail, sous forme de contrats divers (Contrat Emploi Solidarité, Contrat Insertion Emploi…) à des personnes en difficulté.

Le jardinier professionnel salarié établit le plan de culture (près de 50 cultures différentes) et coordonne le travail de chacun sur le terrain. Les légumes sont récoltés deux fois par semaine et distribués dans les quartiers où habitent les adhérents. Ceux-ci participent à toutes les grandes décisions de la vie du jardin.

Le jardin collectif offre une vingtaine de produits biologiques : à côté des légumes, des céréales, des pâtes, du miel, des tisanes, des œufs… Cette production sert aussi de support à des activités de loisirs, de rencontres, de pédagogies variées liées à l’environnement et à la nature (classe d’enfants par exemple), de productions annexes à la mauvaise saison.

Des subventions et des résultats

Les subventions au jardin de Cocagne sont accordées par le Conseil général du Doubs (mission RMI), par le Plie (Pôle d’Insertion par l’Economique), par la Fondation de France et le Secours Catholique.

Actuellement, le jardin de Chalezeule offre cinq postes à plein temps et occupe 25 personnes en Contrat Emploi Solidarité (CES) chargées des plantations, livraisons et des contacts avec les adhérents/consommateurs.

La coopération avec des organismes de formation permet d’offrir aux personnes qui ne travaillent qu’à mi-temps une formation professionnelle.

L’expérience a fait école en France. Aujourd’hui, les initiateurs de la démarche à Besançon sont chargés par la Fédération Nationale des associations d’accueil et de réadaptation sociale (Fnars) de l’essaimage des jardins au plan national. Dans le cadre de la constitution du réseau national, une charte garantit les principes de ces jardins et définit leurs droits et devoirs. Pour adhérer à cette charte, il faut poser sa candidature auprès du groupe d’appui national qui statuera et labellisera l’expérience. Ce groupe rassemble la FNARS, le Secours catholique et les 4 premiers jardins créés.

La Manne de l’Hortillon à Amiens

A Amiens, c’est une association d’insertion d’anciens détenus (Arapej) qui a été, fin 1994, à l’origine de l’initiative du jardin de « La Manne de l’Hortillon », à la porte d’Amiens. Pour réaliser le projet, l’Arapej a rejoint le réseau des Jardins-Cultivons la solidarité et adhéré à sa charte.

Environ 200 habitants d’Amiens intéressés par la démarche se sont engagés à acheter chaque semaine une part des légumes produits (comme à Besançon, pour une cotisation annuelle de quelque 1500 ou 3000 francs). Et chaque vendredi, ils reçoivent un sac garni de produits de saison - à un prix défiant toute concurrence.

Les légumes ne sont pas encore à proprement parler biologiques, bien que le réseau revendique cette spécificité qui est un atout : ils sont cultivés ainsi, dans les règles de l’art, mais il faut du temps pour que les sols redeviennent propres.

Le contrat avec les consommateurs est renouvelé chaque année. « Environ quatre personnes sur cinq continuent d’une année sur l’autre, et l’on trouve facilement à remplacer les partants », explique Lucie Borreman, la directrice de l’Arapej. « Pour équilibrer nos comptes, une fois terminée la période de démarrage pendant laquelle nous recevons un large soutien financier des pouvoirs publics, il nous faudra atteindre 300 adhérents. Mais nous n’irons pas au-delà, car ce serait au détriment de la relation que nous voulons créer. »

Périodiquement, La Manne réunit producteurs et consommateurs en organisant des pique-niques sur les terrains qu’elle cultive. Et un petit journal, l’Echo des Rieux, tient les adhérents au courant de l’actualité de l’association.

Le soin et l’attention à porter aux hommes et aux femmes qui passent par le chantier sont au cœur de la démarche. Tout un dispositif d’accompagnement a donc été mis en place pour les aider, d’une part à régler leurs problèmes personnels (logement, santé, difficultés psychologiques…), d’autre part, à se réinsérer professionnellement. Un conseiller de l’ANPE vient notamment chaque mois passer une demi-journée sur le terrain pour permettre à chacun de bénéficier d’un travail collectif et d’un suivi individuel en la matière.

Sources

  • A Amiens, la culture des Jardins se transforme en chantier d’insertion in. Le Monde, 1997/10/12;* Article de F. Raynal dans Sciences et Nature 1994, N° 9

To go further

  • Un autre exemple de jardins d’insertion, l’association Plaine de vie à Ezanville (Val d’Oise)