L’infrastructure comme objet technique territorialisé, une définition
Stéphanie Leheis, 2012
Cette fiche tente de définir ce qu’est une infrastructure de transport, par-delà l’aspect simplement typologique. Il apparaît alors qu’une infrastructure est autant un équipement qu’une offre de service et, partant, matérielle et virtuelle à la fois, d’où la difficulté d’appréhender cet objet complexe.
Dans la longue liste des infrastructures de transport, nous distinguons principalement :
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les infrastructures de transport terrestre, avec le réseau routier et le réseau ferroviaire ;
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le réseau des voies navigables, les ports maritimes et fluviaux ;
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et les aéroports.
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Le réseau routier étant de loin le plus étendu, il représente, en France, 1 million de kilomètres de voies (en 2007) et supporte près de 87 % des déplacements. Il est sous la responsabilité d’acteurs publics ou privés : l’Etat et les collectivités locales pour les routes nationales, départementales ou la voirie urbaine, des opérateurs privés pour les autoroutes et certains tunnels, ou encore des Sociétés d’Economies Mixtes (SEM) qui associent acteurs publics et privés.
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Le réseau ferroviaire quant à lui comprend les lignes classiques et les lignes à grandes vitesse, propriété de Réseau Ferré de France (RFF) ; les gares, propriété de l’opérateur historique du réseau (la SNCF) ; et les réseaux ferroviaires urbains, gérés et exploités par des Autorités Organisatrices de Transport (au niveau des collectivités locales).
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En ce qui concerne les vois navigables, elles sont gérées par un établissement public national, Voies navigables de France (VNF), ou localement, encore une fois, par des SEM comme la Compagnie Nationale du Rhône.
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Les ports, comme les aéroports, sont quant à eux gérés et administrés soit par les collectivités locales, par l’intermédiaire le plus souvent des chambres de commerces et d’industrie, soit par l’Etat pour les grands ports relevant du statut de port autonome et sous le contrôle direct du gouvernement. Pour autant, la tendance actuelle est à l’ouverture du capital de ces établissements publics, dans lesquels l’Etat reste néanmoins le principal actionnaire. C’est ce que nous observons dans le cas des aéroports, comme pour le groupe Aéroports de Paris dont le capital est ouvert au privé depuis 2005, et dans le cas des principaux ports depuis la loi de 2008 qui a ouvert la voie à leur privatisation.
D’emblée, au regard de ce rapide état des lieux, on s’aperçoit que les infrastructures de transport concernent un nombre important d’acteurs, depuis le propriétaire du réseau à son gestionnaire, en passant par son exploitant, sans oublier l’usager, et associent des acteurs aux statuts très divers, du public au privé.
Comment définir une infrastructure de transport ? Cette question peut paraître anodine, pourtant une infrastructure est un objet complexe, aux multiples dimensions, et il est primordial de tenir compte de cette complexité pour concevoir un projet, qu’il s’agisse d’une route, d’une gare ou encore d’un pont. Et pour ceux qui pensent qu’une autoroute n’est qu’un simple ruban de bitume surimposé sur un territoire, les expériences passées nous ont montré les nuisances et effets pervers auxquels un regard simpliste peut conduire. Et pour un même type d’infrastructure, l’autoroute par exemple, les enjeux sont très différents selon que l’on s’intéresse à l’axe ou bien au diffuseur. L’articulation au territoire n’en est que plus complexe : entre les acteurs locaux qui veulent un maximum de diffuseurs, les plus proches possible, et l’opérateur qui pour l’exploitation du réseau veut le moins d’arrêt possible.
Nous voudrions ici mettre en évidence deux caractéristiques qui nous paraissent essentielles pour caractériser les infrastructures de transport. La première est que l’infrastructure peut se définir comme un objet technique, au même titre qu’un ordinateur ou une machine à café, car il faut des connaissances et un savoir-faire techniques pour concevoir un tel objet. Et la seconde est que l’infrastructure est un objet territorialisé, c’est-à-dire en relation avec le territoire dans lequel elle s’inscrit.
Une infrastructure, c’est d’abord un objet qui s’inscrit à la fois dans l’espace et dans le temps.
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Dans l’espace, puisque cet objet a un impact, plus ou moins fort. L’infrastructure crée du lien, comme un pont qui réunit les deux rives d’une même cité ou une ligne à grande vitesse qui réunit deux métropoles. Mais elle peut aussi être une coupure, aussi bien réelle que symbolique, comme le boulevard périphérique qui sépare la ville-centre, densément peuplée et richement dotée en équipements, des périphéries urbaines qui se sont développées à partir des faubourgs et qui souffrent d’une urbanisation diffuse et d’un sous-équipement chronique. L’infrastructure a aussi un impact indirect : elle modifie notre rapport à l’espace-temps, en raccourcissant les distances. C’est le fameux « effet TGV », qui permet à certains d’habiter à Tours tandis qu’ils travaillent à Paris, pratiquant ainsi, de part leur mobilité, un espace métropolitain d’échelle régionale voire nationale (Klein, 1998).
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Dans le temps, puisque cet objet correspond aussi à une époque. La façon de faire les infrastructures a beaucoup évolué au fil du temps. Qu’il s’agisse des techniques de conception, des normes de sécurité, des modalités d’insertion urbaine, etc. une infrastructure est clairement datée. Ainsi, derrière un pont ou un viaduc, on peut voir un aperçu des techniques d’une époque.
En tant qu’objet technique, l’infrastructure est avant tout du ressort des ingénieurs. Car une infrastructure de transport, quel que soit le mode concerné (ferroviaire, routier, aérien, fluvial, maritime), c’est souvent une affaire de béton et de chiffres. Elle est le résultat de savants calculs pour faire passer un certain flux de véhicules, dans des conditions de sécurité données, d’un point A à un point B. Elle s’appuie donc sur une expertise technique, qui en France est historiquement portée par le corps des ingénieurs de Ponts et Chaussées, et qui a permis d’arriver, au fil du temps, à une normalisation des modes de construction et de la conception des infrastructures. Avec les nouvelles technologies et les innovations majeures qui repoussent toujours plus loin les limites du faisable, les projets d’infrastructures n’en sont que plus complexes, comme en témoigne l’exemple du tunnel Duplex qui boucle l’autoroute A86 en Ile-de-France (sur cet exemple, voir le dossier spécial de la Revue Générale des Routes, publié en 2007).
Mais une infrastructure est aussi un objet politique, social, économique… Politique, parce qu’il est le fruit d’une décision publique, qui implique en premier lieu des élus, des experts, et de plus en plus des usagers et des riverains. Social, parce que l’infrastructure est aussi transformée, adaptée, imaginée, par ceux qui l’utilisent et la pratiquent. Economique aussi, parce que l’infrastructure est un support de l’activité économique. Ces multiples dimensions caractérisent donc notre objet : l’infrastructure dépend à la fois de la technique, du politique, du social et de l’économique. Et chacune de ces dimensions doit être prise en compte lorsque l’on s’intéresse à la planification des infrastructures de transport. Car le choix de réaliser une infrastructure dépend de l’ensemble de ces données. Il fait ainsi intervenir des critères divers, et souvent contradictoires, comme par exemple celui qui oppose généralement équité territoriale et rentabilité économique.
Un dernier élément de complexité tient au fait que cet objet n’est pas isolé, mais qu’il s’inscrit dans un ensemble : le réseau. La notion de réseau désigne l’ensemble des moyens, techniques et processus, permettant l’acheminement des personnes et des marchandises d’un lieu à un autre de l’espace géographique. Le réseau est donc matérialisé par les infrastructures ; elles en sont le support physique. L’important ici est donc de bien voir que l’infrastructure n’est pas un objet isolé, mais qu’au contraire elle s’inscrit dans un ensemble où la connectivité est déterminante. Autrement dit, l’analyse d’une infrastructure ne peut se faire sans tenir compte de cette dimension réseau.
Enfin, il est intéressant de relever la double dimension constitutive des infrastructures : qui sont à la fois un équipement, et qui offrent un service. Elles sont en effet un support de flux et le principal support de notre mobilité. En cela, elles offrent un service, qui correspond à un service public fondamental : celui de pouvoir se déplacer librement. Dans la plupart des pays se sont donc les autorités publiques qui sont chargées de nous fournir ce service, au même titre que l’accès aux soins ou à l’enseignement. Pour autant, l’équipement est souvent conçu et géré par une entreprise privée, chargée de pourvoir ce service public. La logique de dérégulation (liée à l’ouverture à la concurrence et à la mondialisation) qui est à l’œuvre en France et en Europe depuis les années 1980 et surtout 1990, a conduit a renforcer cette dichotomie en imposant une séparation stricte des rôles entre d’une part le gestionnaire de l’infrastructure et d’autre part son exploitant. Le gestionnaire est celui qui possède l’équipement, tandis que l’exploitant est chargé du service à fournir. C’est ainsi que dans le cas des chemins de fer, RFF (créé en 1994) est devenu le gestionnaire du réseau, tandis que la SNCF n’est plus que l’opérateur. Elle tend d’ailleurs à ne devenir plus qu’un opérateur parmi d’autres depuis l’ouverture à la concurrence sur les lignes nationales et bientôt sur les lignes régionales (au 1er janvier 2013).
Cette dichotomie entre équipement/service a souvent conduit à deux approches différentes et deux façons de concevoir l’infrastructure, soit que l’on s’intéresse uniquement à l’équipement et à sa construction, soit que l’on s’intéresse plutôt à son usage et au service rendu.
Nous observons aujourd’hui une tendance à la réconciliation de ces deux approches, notamment autour de la notion de « coût global » par exemple, qui consiste à prendre en compte le processus global de la conception à l’exploitation de l’infrastructure pour en évaluer le coût. Ainsi, sont inclus non seulement le coût de la construction de l’infrastructure, mais aussi les coûts liés à son exploitation, son usure, sa maintenance, etc. jusqu’à sa déconstruction. Cette tendance est également très présente dans les nouveaux contrats de partenariat public-privé, qui depuis quelques années se généralisent pour financer les infrastructures de transport (voir Les enjeux de la territorialisation des infrastructures de transport - Partie 2 : le financement). Dans ce type de contrat, l’Etat ou une collectivité locale confie à une entreprise privée la mission globale de financer, concevoir, construire, exploiter et entretenir une infrastructure. L’entreprise perçoit alors un loyer étalé dans le temps de la part de l’Etat pour répondre à cette mission. Avec cette approche, l’infrastructure est pensée sur toute sa durée d’exploitation (qui correspond à peu près à la durée du contrat). Elle est pensée à la fois comme un équipement et comme un service, selon un modèle d’intégration ou d’agrégation maximale.
Sources
Le site du ministère des transports pour trouver toutes les données actualisées
Prelorenzo, C. (2000). Infrastructures, villes et territoires. Paris: L’Harmattan.
RGRA (2007). Dossier : le tunnel Duplex A86. Le bouclage de l’A86 à Paris : de la genèse d’un projet hors normes à la mise en service. Revue Générale des Routes et des Aérodromes, 859.
MEDDTL (2012). Repères : les chiffres clés du transport. La Défense : MEDDTL.
Klein, O. (1998). Les modifications de l’offre de transport : des effets automatiques à l’innovation socio-technique. L’exemple de la grande vitesse. Espaces et sociétés, 95-1, pp. 95-126.