Le secteur de l’électricité et du gaz en Europe
Pierre Bauby, 2005
Cette fiche présente l’ouverture au marché des secteurs de l’électricité et de gaz en Europe qui, sous prétexte d’en finir avec certains monopoles d’Etat, ont permis à quelques grandes multinationales de ces secteurs de se constituer des monopoles privés.
Au plan européen, le secteur de l’électricité est défini comme étant un service d’intérêt économique général (SIEG).
Le Livre blanc de la Commission européenne du 12 mai 2004 en donne la définition suivante :
« L’expression « services d’intérêt économique général » est utilisée aux articles 16 et 86, paragraphe 2, du traité. Elle n’est pas définie dans le traité ou dans le droit dérivé. Cependant, dans la pratique communautaire, on s’accorde généralement à considérer qu’elle se réfère aux services de nature économique que les États membres ou la Communauté soumettent à des obligations spécifiques de service public en vertu d’un critère d’intérêt général. »
La logique de construction du marché intérieur a mis en lumière les profonds décalages qui existaient dans les années 1980 entre d’un côté les modes nationaux de définition et d’organisation du secteur, chaque pays ayant construit son système électrique dans le cadre de son histoire, de ses traditions et institutions, et de l’autre les logiques d’intégration européenne.
Dès lors, l’introduction de la concurrence au plan communautaire a été conçue comme le moyen à la fois de casser les frontières et d’améliorer l’efficacité de secteurs qui étaient protégés par des situations de monopoles. Les directives successives (1996 et 2003) marché intérieur ont organisé l’ouverture progressive à la concurrence. La directive du 26 juin 2003 sur le marché intérieur de l’électricité demande à la Commission européenne d’établir un rapport détaillé avant le 1er janvier 2006, qui devra décrire les progrès accomplis concernant la création du marché intérieur de l’électricité et proposer éventuellement de nouvelles mesures. L’ouverture du marché européen de l’électricité et du gaz est prévue pour 2007.
Le marché de l’électricité est un marché spécifique sous plusieurs aspects :
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l’électricité est un bien particulier car non stockable,
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son parcours sur les réseaux de transport n’est pas défini et ne peut pas être déterminé,
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le transport d’électricité sur une longue distance est difficile et coûteux du fait des pertes.
Ces trois premiers éléments amènent à caractériser le transport de l’électricité comme un monopole naturel, ce qui est aujourd’hui clairement établi.
Le marché de l’électricité rencontre des obstacles naturels (existence d’îles et de presqu’îles), qui limitent les échanges, éléments qui, conjugués aux précédents, amènent à constater qu’il existe aujourd’hui pour l’essentiel, des marchés régionaux, par grandes « plaques », et non un marché intégré.
Si, dans un premier temps, l’introduction de la concurrence a amené l’arrivée de nouveaux opérateurs, bien vite sont apparus des phénomènes de reconcentration :
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séries de fusions et acquisitions (c’est ainsi qu’entre 2000 et 2003 les 7 plus grandes compagnies européennes d’électricité ont investi 80 milliards d’euros dans des fusions et acquisitions) ;
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internationalisation des opérateurs, les « nouveaux entrants » dans un pays étant souvent des opérateurs dominants d’autres pays ;
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intégration horizontale, en particulier entre électricité et gaz, mais aussi plus généralement avec les autres activités de réseau.
Ainsi, on a vu apparaître un oligopole de quelques grands opérateurs au plan européen au plan électrique, puis gazier et trans-sectoriel, avec 7 groupes 3 grands (EDF, RWE et EON) et 4 autres (Suez-Electrabel, Vatenfall, Enel et Endesa).
Dès lors, des questions essentielles se posent pour le futur de l’Europe de l’électricité :
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Peut-il y avoir un marché intérieur fluide et unifié ou uniquement des marchés régionaux ?
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Quel rôle des réseaux d’infrastructures et comment développer un réseau transeuropéen ?
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Quelle régulation de la concurrence oligopolistique trans-sectorielle ; comment apprécier l’« abus de position dominante » ?
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La régulation restera-t-elle essentiellement nationale ou irons-nous vers une fédéralisation de la régulation, c’est-à-dire d’une répartition des compétences de régulation entre les États et l’Union ?
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Comment assurer une évaluation pluraliste et contradictoire, aussi bien des performances du système électrique que des effets des mesures de libéralisation et des évolutions complexes des marchés ?
Les objectifs affichés de l’Union européenne sont les suivants :
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Assurer la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’UE à long terme, alors que le Livre vert sur l’efficacité énergétique, qui vient d’être publié par la Commission européenne, souligne que « d’ici 2030, sur la base des tendances actuelles, l’UE sera à 90 % dépendante des importations pour ses besoins en pétrole et à 80 % dépendante pour le gaz ».
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Remplir les engagements de Kyoto sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre,
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Améliorer l’efficacité énergétique,
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Développer les énergies renouvelables,
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Garantir un développement durable.
L’efficacité énergétique et la protection du climat sont ainsi entrées dans le champ des Obligations de Service Public (OSP).
De plus, les consommateurs nationaux doivent avoir un accès égal aux entreprises d’électricité, l’accès des tiers au réseau est une composante des OSP. Le service universel est clairement défini : c’est « le droit d’être approvisionné, sur leur territoire, en électricité d’une qualité bien définie, et ce à des prix raisonnables, aisément et clairement comparables et transparents ». La défense du client vulnérable est intégrée et les clients doivent avoir accès à de nombreuses informations concernant la nature de l’électricité dont ils disposent. Enfin, les États doivent imposer des mesures favorisant la cohésion économique et sociale, la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, et doivent informer la Commission des mesures mises en œuvre afin de faire appliquer la Directive.
Il est clair que si l’on ne laisse agir que les logiques de concurrence et de marché, ces objectifs ne pourront être atteints. Il y a donc besoin pour l’avenir d’une politique communautaire énergétique plus affirmée et plus offensive. Si l’ouverture du marché doit être effective pour tous dès 2007, ce que beaucoup contestent, cela ne peut se faire sans un renforcement du service universel de l’énergie. Cette ouverture ne doit pas être une fuite en avant dans la libéralisation, mais doit être précédée d’une évaluation sérieuse, ne portant pas que sur les prix. Cette évaluation démocratique doit être effectuée avec toutes les parties prenantes.